Colorants naturels et colorants de synthèse : FAQ

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• Quelles sont les raisons qui ont motivé les recherches sur les colorants artificiels et synthétiques au XIX^e siècle ?

Une partie des raisons sont d’ordre scientifique : s’étant saisis de la teinture comme objet d’étude, encouragés en cela par le bureau du commerce, les chimistes du XVIII^e siècle avaient commencé à identifier les différentes molécules composant les matières colorantes naturelles principales, la garance et l’indigo par exemple. C’est le souhait de reproduire artificiellement ces molécules colorantes, par les moyens propres de la chimie, qui motiva les principales recherches des chimistes du XIX^e siècle, avec succès.

De plus, ces recherches étaient soutenues par les pouvoirs publics et les industries colorantes afin d’obtenir, avant même la découverte du premier colorant de synthèse en 1856, des matières artificielles dans la composition desquelles des adjuvants chimiques renforçaient le pouvoir colorant des matières naturelles.

Enfin, pour certaines matières colorantes telles que l’indigo, provenant de terres lointaines, la création de substituts synthétiques aurait permis de cesser leur importation.

• Faut-il avoir un diplôme de chimiste pour être teinturier ?

Jusqu’à la Révolution française, l’exercice du métier de teinturier était encadré par les corporations, organisations professionnelles réglementant les conditions d’apprentissage puis d’accès à la maîtrise du métier. Un maître teinturier s’illustrait par l’excellence de ses pratiques, et non par ses connaissances scientifiques éventuelles. De plus, la chimie ne s’est constituée en tant que discipline scientifique que progressivement à partir du XVII^e siècle. La seconde moitié du XVIII^e siècle voit de fait se confronter dans le domaine de la teinture les praticiens experts et les savants chimistes de l’Académie royale des sciences. L’excellence d’un teinturier de la manufacture royale des Gobelins comme Antoine Quémizet fut d’ailleurs reconnue par les chimistes, alors que Quémizet ne disposait d’aucun diplôme en chimie.

Au XIX^e siècle, des cours de chimie appliqués à la teinture existent à Paris, Rouen, Mulhouse et Lyon. De nombreux teinturiers ou exerçant comme tels sont chimistes. Néanmoins, aucun diplôme n’est requis, même si l’utilisation progressive à partir des années 1860 des colorants de synthèse impliquera une maîtrise plus importante des bases de la chimie organique que ne le requérait la teinture naturelle.

• Existe-t-il des savoir-faire empiriques dans le domaine de la teinture qui se transmettaient de génération en génération, de praticien en praticien ?

La teinture fait partie d’un ensemble autrefois appelé « arts et métiers », comme la céramique, la ferronnerie… La transmission de ces arts et métiers se faisait à l’intérieur des corporations, tandis que des livres de secrets ont existé dès la fin du Moyen Age, rassemblant recettes, trucs et remèdes divers. Ces savoirs vernaculaires, éventuellement différents d’un teinturier à l’autre, pouvaient également se transmettre oralement de père en fils ou de maître à apprenti.

• Pourquoi les teinturiers ont-ils utilisé les colorants de synthèse pour remplacer les colorants naturels ?

Les matières naturelles étant rarement identiques d’un terroir à l’autre ou d’une saison à l’autre, la reproductibilité des couleurs des étoffes teintes est quasiment impossible à atteindre. De plus, les couleurs obtenues dépendent également des eaux et des adjuvants utilisés par les teinturiers, sans parler des affinités particulières existant entre certaines matières colorantes naturelles et certaines fibres.

Les teinturiers et les chimistes du XIX^e siècle croyaient en la possibilité d’atteindre une plus grande reproductibilité des couleurs des étoffes teintes et imprimées grâce aux colorants de synthèse qui ont a priori toujours le même comportement chimique.

• Les colorants de synthèse pouvaient-ils être utilisés par les mêmes teinturiers que les colorants naturels ?

Jusqu’à la fin du XIX^e siècle, les teinturiers, qu’ils soient ou non chimistes, étaient en capacité d’utiliser toutes les matières colorantes. Les journaux d’essais et livres de recettes des teinturiers conservés montrent d’ailleurs, pour la seconde moitié du XIX^e siècle, une utilisation mixte des colorants naturels et de synthèse par les mêmes teinturiers. Au cours de la première moitié du XX^e siècle toutefois, et alors que les colorants de synthèse remplacent complètement les teintures d’origine naturelle, la richesse et la complexité des procédés de teinture naturelle (mordançage, engallages et préparations des étoffes ; sur-teintures et nuançages) se perdent progressivement.

• Y a-t-il eu aux XIX^e et XX^e siècles une réglementation concernant l’utilisation des colorants de synthèse, comme cela existait avant la Révolution pour les colorants naturels ?

L’Ancien régime, soucieux de contrôler la qualité des étoffes teintes, introduisit en 1669 une distinction entre le « bon » ou « grand teint » et le « faux » ou « petit teint ». Cette règlementation essentielle se diffusa au XVIII^e siècle en Europe, excluant des procédés de « grand teint » des matières colorantes jugées insuffisamment solides à la lumière, telle que l’orseille, malgré la beauté des coloris obtenus. Le corps des inspecteurs des manufactures royales, comprenant l’inspection des teintures du Royaume, opérait toutes les visites et vérifications nécessaires au respect de cette règlementation.

Après la Révolution française, les questions de solidité à l’eau et à la lumière restèrent importantes dans le domaine textile, mais indépendamment de toute règlementation. Les régimes successifs ne prirent aucune disposition légale visant à contrôler les teintures, pas même lorsque l’emploi de produits chimiques, éventuellement nocifs voire mortels comme l’arsenic, se multiplia considérablement.

• Peut-on reproduire les mêmes couleurs avec les colorants de synthèse qu’avec les colorants naturels ?

L’invention des colorants de synthèse se fonde sur l’identification des molécules colorantes naturelles et leur reproduction à l’aide de la chimie de synthèse. Pour les rouges de garance par exemple, le brevet pris en 1869 pour la fabrication d’alizarine de synthèse permit la reproduction d’un rouge présentant les mêmes caractéristiques colorimétriques que le rouge de la garance. Un excellent teinturier peut donc reproduire à l’identique toutes les couleurs obtenues en teinture naturelle à l’aide des colorants de synthèse.

Les colorants de synthèse offrirent en outre, dès la seconde moitié du XIX^e siècle, des qualités de brillance qui semblèrent nouvelles. De même, les couleurs fluorescentes ne sont pas réalisables en teinture naturelle.

A l’inverse, il existe des harmonies colorées davantage réalisables en teintures d’origine naturelle, entre divers roses et verts par exemple, qu’avec les colorants de synthèse. Cette réalité maintes fois constatée peut s’expliquer par les affinités existant entre les colorants naturels, constitués de nombreuses molécules dont certaines peuvent se retrouver dans divers colorants, alors que les colorants de synthèse sont fondés sur l’exploitation d’une seule molécule colorante, qui s’opposent donc lors de la juxtaposition d’étoffes teintes.

• Quels sont les impacts des colorants sur la santé ?

Certains colorants naturels, comme le millepertuis, peuvent avoir des effets indirects sur la santé, parfois négatifs. Jusqu’au XX^e siècle, le linge de corps, en contact direct avec la peau, n’était d’ailleurs jamais teint.

La grande majorité des effets dangereux pour la santé des colorants, aussi bien naturels que de synthèse, concernent les teinturiers qui sont exposés de manière régulière et importante à ces colorants, ainsi qu’aux autres produits et drogues entrant dans les procédés de teinture.

• Quels sont les impacts sur l’environnement des colorants naturels ?

Jusqu’au XIX^e siècle, la qualité des eaux des rivières, grandement sollicitées pour la teinture, n’a pas fait l’objet de dispositions règlementaires. Des témoignages existent pourtant, dès le XVIII^e siècle, pour la Bièvre par exemple qui traversait le quartier des teinturiers au faubourg Saint-Marcel de Paris : les nombreux tannins, colorants et produits déversés par les teinturiers, au cours des rinçages par exemple, souillaient de manière irréversible la Bièvre.

De même, la question des seuils d’exploitation des ressources naturelles est tout à fait récente et explique la disparition quasi-totale à l’époque moderne de certaines espèces naturelles, telles que le murex (Bolinus brandaris, L. 1758) utilisé pour la teinture en couleur pourpre.

De nos jours, l’utilisation des matières colorantes de synthèse fait l’objet d’une règlementation (REACH, 2007), afin de sécuriser la fabrication et l’utilisation des substances chimiques dans l’industrie européenne. Le retour à l’utilisation des teintures naturelles se fait également dans le respect des peuplements naturels, pour les bois par exemple, et des ressources disponibles en eau.

• L’utilisation de fibres artificielles induit-elle une utilisation de colorants de synthèse ?

Depuis des siècles, les teinturiers ont constaté des différences conséquentes existant en teinture entre fibres végétales et animales. D’une manière générale, les fibres végétales prennent moins facilement la couleur et nécessitent ainsi une préparation plus importante voire différente. Certains colorants de synthèse ont d’ailleurs été développés pour teindre plus facilement les fibres cellulosiques.

Compte tenu de ces affinités entre fibres et colorants, il est possible qu’il en existe entre fibres artificielles et colorants de synthèse, l’ensemble étant des productions industrielles chimiques.

• Dans le domaine du vêtement, le développement des colorants de synthèse a-t-il donné plus de choix aux clients ?

Ayant progressivement conduit à une baisse des coûts de revient des étoffes colorées, la commercialisation des colorants de synthèse a permis à un plus grand nombre de couches sociales de bénéficier d’étoffes teintes et imprimées. Par ailleurs, ce développement est concomitant de la multiplication des grands magasins, qui présentaient des offres d’étoffes variées, à tous les prix.

• Pourquoi, au XIX^e siècle, beaucoup de colorants de synthèse se terminent en -ine ?

Le suffixe en -ine n’est pas spécifiquement lié à la nomenclature chimique. Provenant du latin –ina, il permet de former des adjectifs féminins signifiant une appartenance, un rattachement. En tant que substantif féminin, il désigne plusieurs catégories de substances en chimie et en biologie, telles que les protéines. Voici quelques exemples dans le domaine des colorants de synthèse :

• mauvéine : brevetée en 1856, elle donne une couleur mauve/lilas/violette ;
• aniline : elle est découverte en 1826 lors de la distillation sèche de l’indigo , appelé « anil » en espagnol ;
• flavine : du latin flavus signifiant blond, ce colorant de synthèse donne un jaune ;

• alizarine : colorant de synthèse breveté en 1869, permettant d’obtenir un rouge garance, « alizari » étant le nom commun des racines de la garance, qui servent à la teinture.